Le Génocide des Arméniens et sa reconnaissance par la France

Un charnier avec les cadavres arméniens. Photo Armin Wegner 
Photo Armin T. Wegner - 1915

L'universalité de la déclaration des Droits de l'Homme sert d'appui à la reconnaissance du Génocide des Arméniens.

Introduction.
Chronologie de la reconnaissance du Génocide par la France.
Plus de 2 ans de mobilisation pour cette reconnaissance.

La question de la reconnaissance du Génocide des Arméniens a été soulevée de longue date à l'Assemblée Nationale, dès 1965, date du cinquantième anniversaire de ce Génocide. Les réponses du gouvernement aux questions orales et écrites de différents députés font apparaître des variations certaines, au gré des relations de la France avec la Turquie. Reconnu de 1981 à 1984, le Génocide des Arméniens n'est plus affirmé en tant que tel par les représentants du gouvernement à l'Assemblée Nationale, cela jusqu'aux séances d'avril 1998.

Au cours des séances du 21 et 22 avril 1998, en réponse aux questions orales des députés, Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, puis Hubert Védrine s'abstiendront de prononcer le mot "génocide", ne parlant que de massacres. Le communiqué du Premier ministre, le 24 avril 1998, évoque seulement "la tragédie qui a endeuillé tout un peuple, victime de déportations et de massacres".

Pourtant, le 18 juin 1987, le Parlement européen adoptait une résolution reconnaissant officiellement le Génocide des Arméniens. Le Comité de Défense de la Cause Arménienne, qui avait activement œuvré à l'adoption de cette résolution, entendait aussi obtenir des parlements nationaux la reconnaissance de ce Génocide. La réponse du gouvernement français été claire : le ministre des Affaires Etrangères Michel Sapin (PS) répondait : " Le gouvernement français n'a pas à se prononcer sur les résolutions adoptées par le Parlement Européen".

Le CDCA poursuivait cependant le combat pour obtenir cette reconnaissance. En 1994, 1995, 1997 de nombreuses propositions de loi pour la reconnaissance du Génocide des Arméniens et l'élargissement de la loi Gayssot à la répression de tous les génocides sont déposées par des députés, sans succès. En 1998, la proposition de loi du groupe du PS pour la reconnaissance par la France du Génocide des Arméniens est enregistrée à la présidence de l'Assemblée Nationale le 19 mai 1998.

Durant l'élaboration du rapport de l'Assemblée Nationale, le Président du CDCA Ara Krikorian est entendu par le rapporteur. Retrouvez l'intégralité du rapport N° 925 : Rapport n°925 de l'Assemblée Nationale

Chronologie de la reconnaissance du Génocide des Arméniens par la France :

Le 29 mai 1998, l'Assemblée Nationale adopte à l'unanimité la proposition de loi reconnaissant le génocide arménien déclarant dans son article unique "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Comme toute proposition de loi et afin d'être promulguée, celle-ci doit être voté dans les même terme par le Sénat. Bien que ce texte est fait l'unanimité lors de son adoption par les députés, le Sénat refuse toujours de l'examiner.

 

En octobre 1998, Monsieur Daniel Vaillant, Ministre des Relations avec le Parlement, dans un courrier adressé au Président du CDCA, écrit :" en raison de l'encombrement des travaux (...) l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat ne me semble pas possible d'ici la fin de l'année ".

En janvier 1999, Daniel Vaillant répond à une nouvelle demande de rendez-vous : " Lors de l'examen de cette proposition de loi à l'Assemblée Nationale, le Gouvernement a fait savoir combien il était sensible au souvenir des déportations et des massacres commis en 1915 et 1916 dans l'Empire Ottoman. Le Gouvernement a donc pris acte de l'intention politique de l'Assemblée. Il rend hommage aux victimes de cette tragédie en pensant notamment aux enfants des victimes de ces événements. Dans le même temps, la France veut aider " garantir la stabilité de cette région du Caucase grâce " la réconciliation entre les peuples et les États qui la composent. Elle entend, en conséquence, persévérer dans cet effort ". Répétant que le texte avait été transmis au Sénat et qu'il pouvait s'en saisir conformément " la Constitution et " son règlement, le Ministre conclut : " Aussi, le Gouvernement s'en remet-il " la sagesse de la Haute Assemblée, à son propre regard sur l'Histoire comme " sa grande connaissance des équilibres géopolitiques contemporains ".

Hubert Védrine, Ministre des Affaires Étrangères intervient le 17 mars 1999 devant la Commission des Affaires Étrangères et de la Défense du Sénat. Qualifiant le génocide de 1915 de "massacres abominables", "d'atrocités", "d'une barbarie programmée" qui marquent "de manière indéniable l'Histoire", le ministre a justifié son refus d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat par des raisons "d'opportunité". Le gouvernement redoute que "son adoption serve avant tout ceux que tentent le repli sur soi, le nationalisme autoritaire et la répudiation des valeurs de progrès et d'ouverture ". La France veut voir la Turquie, " ce grand pays, évoluer dans le sens de la modernité, de la stabilité, d'un respect accru des droits de l'homme, d'un renforcement de la démocratie et de la reconnaissance des droits des minorités ", a ajouté Hubert Védrine. Le ministre a également mis en avant le fait qu'un tel vote ne servirait pas les objectifs de Paris de voir éliminer "les antagonismes" existants de " la Méditerranée à la Caspienne ". M. Védrine a notamment mentionné "la situation particulièrement tendue dans le Caucase" où "l'esprit de surenchère pourrait trouver de nouveaux arguments dans le vote du Parlement français". Déclarant que ni le gouvernement, ni le Président de la République ne pensaient qu'il "appartient à la loi de proclamer la vérité sur cette tragédie historique", le Ministre des affaires Étrangères a rappelé que le Sénat avait la "faculté" d'inscrire la proposition de loi "à son ordre du jour complémentaire".

Influencé par le Ministre des Affaires Étrangère s'exprimant au nom du gouvernement et du Président de la République, la Conférence des Présidents du Sénat du 23 mars, décide de ne pas inscrire la proposition de loi en prétextant les premiers bombardements sur Belgrade.

Le 8 mars, Lionel Jospin, Premier Ministre, répond au Président du CDCA et à Youri Djorkaeff. Il écrit : " Sur la base d'une initiative parlementaire, l'Assemblée Nationale a en effet adoptée cette proposition de loi (...). Le texte adopté par l'Assemblée Nationale a été transmis au Sénat qui peut, conformément à l'article 48, 3ème alinéa de notre constitution et à l'article 29, 3ème alinéa de son règlement, l'inscrire à son ordre du jour complémentaire ".

Un an plus tard, le 10 mars 2000, Lionel Jospin dans un courrier adressé au Président du CDCA, écrit que le vote de l'Assemblée Nationale du 29 mai 1998 " n'était pas un acte d'accusation, mais un acte de paix ", contrairement au point de vue de l'Élysée et du Quai d'Orsay.

Le 22 février 2000, la Conférence des Présidents du Sénat décide par 14 voix contre 6 de ne pas inscrire la proposition de loi. Seuls Hélène Luc (Présidente du groupe communiste), Messieurs Claude Estier (Président du groupe socialiste), Guy Allouche (Vice-président , P.S.), Jean-Claude Gaudin (Vice-président, RI), Jacques Larché (Président de la Commission des Lois, RI), Philippe Marini (Rapporteur de la Commission des Finances, RPR) sont favorables à l'examen de la proposition de loi. Le gouvernement, par la voix du Ministre des relations avec le Parlement, Daniel Vaillant, avait laissé les sénateurs libre de décider de l'inscription ou non du texte de loi à l'ordre du jour. Dans un communiqué, le Sénat déclare " La Conférence des Présidents n'a pas estimé opportun d'inscrire la discussion de la proposition de loi sur le génocide arménien à l'ordre du jour des travaux du Sénat. Elle a considéré : que la Constitution n'autorise pas le Parlement à qualifier l'Hstoire ; que ni le Président de la République, ni le Gouvernement ne souhaitaient la discussion de cette proposition de loi qui risque de contrarier le processus de réconciliation en oeuvre dans les États du Caucase du Sud ". Le jour même, la Turquie, par la voie du Ministre turc des Affaires Étrangères, Ismail Cem, s'est félicité de la position du Sénat en la qualifiant de " positive " après le que le premier ministre turc, Bulent Ecevit, ait mit en garde la France contre la possibilité de l'adoption de la proposition de la loi et de représailles économique. Le ministère arménien des Affaires étrangères exprime de son coté sa " douleur ". " Bien que la France ait une fois de plus cédé à la pression turque, nous espérons que ce pays qui s'est toujours prononcé pour le droits de l'Homme, va finalement reconnaître le caractère incontestable du génocide contre les Arméniens ", déclare le porte-parole du ministère arménien, Ara Papian.

Le 23 février 2000, A l'issue d'un déjeuner entre le Président de la République et le Bureau du Sénat qui se tient à l'Élysée, le Président du Sénat, Christian Poncelet, déclare que Jacques Chirac avait été " très clair " et avait déclaré que " ce n'est pas au moment où la France développe des efforts importants pour créer un climat de paix qui conduira à la coopération entre les trois États du Caucase du Sud qu'il faut essayer, en se tournant vers le passé, de ranimer des animosités, pour ne pas dire des haines, que l'on essaye d'effacer, qu'il faut regarder vers l'avenir, et que ces trois pays ont besoin de coopérer pour bâtir le début d'un marché commun économique qui s'impose, compte tenu de la situation des populations ". La position du chef d'État étant d'après Christian Poncelet qu' " il n'est pas souhaitable " que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour des travaux des sénateurs, position identique à celle du ministre des affaires Étrangères.

Le 21 mars 2000, par 172 voix contre 130 voix, les sénateurs décident de ne pas débattre de la proposition de loi reconnaissant le génocide arménien. Appelés à se prononcer sur la procédure de mise en discussion immédiate de la proposition de loi engagée par les sénateurs socialistes et communistes, les sénateurs doivent dans un premier temps se prononcer sur la forme et éventuellement dans un second temps sur le fond. Monsieur Gilbert Chabroux, sénateur-maire socialiste de Villeurbanne, est le premier intervenant qui comme le prévoit le règlement du Sénat défend la mise à l'ordre du jour. La position contraire est défendue par Monsieur Serge Vinçon, sénateur RPR du Cher. Autres intervenants : le Président de la Commission des Affaires Étrangères du Sénat, Xavier de Villepin et le Ministre délégué aux Affaires Européennes, Pierre Moscovici. Les opposants à la mise à l'ordre du jour mettent en avant la Constitution qui ne permet pas au Parlement de reconnaître des faits historiques et les conséquences diplomatiques que l'adoption de loi peut créer. L'ensemble des sénateurs de gauche ( 17 communistes et 77 socialistes) votent en faveur de la mise en discussion auquels s'ajoutent trois voix du RPR (sur 98), 7 centristes (sur 52), 16 des Républicains et Indépendants (sur 46) et 10 du Rassemblement Démocratique et Social Européen (sur 23). Les Sénateurs proches du Rassemblement pour la France de Charles Pasqua votent contre.

Alors que la possibilité d'une autre demande de discussion immédiate se profile avant la fin de la session parlementaire de juin 2000, celle-ci n'a pas lieu.

Le 3 octobre, la conférence des Président du décide de conditionner l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi aux «explications» du ministre des Affaires étrangères.

Le 4 octobre, Hubert Védrine indique devant la Commission des Affaires étrangères du Sénatque le gouvernement n'entendait pas demander l'inscription du texte à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, celui-ci étant libre de l'inscrire à son ordre du jour complémentaire.

Le 3 octobre, face au nouveau refus de la Conférence des Présidents d'inscrire le texte à son ordre du jour, Hélène Luc, présidente du groupe communiste indique que «le moment venu son groupe déposera une demande de discussion immédiate».

Le 23 octobre, Jean-Claude Gaudin, Vice-Président du Sénat (RI), déclare en conférence des présidents qu'il va «vraisemblablement demander une discussion immédiate le 7 novembre» sur la proposition de loi.

Le 26 octobre, Adrien Gouteyron, sénateur de Haute Loire et secrétaire général du RPR, annonce qu'il vient de déposer avec plusieurs de ses collègues une nouvelles proposition de loi. Cette proposition de loi différente de celle adoptée par les sénateurs déclare «La France reconnaît publiquement le gén ocide dont le peuple arménien a été victime en 1915».

Le 27 octobre, Jean-Claude Gaudin (RI), Jacques Pelletier (RDSE), Bernard Piras (PS), Robert Bret (PC), Michel Mercier (UC) et Jacques Oudin (RPR) déposent une nouvelle proposition indentique à celle adoptée par les députés stipulant que «La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915». C'est ce texte qui sera examiné lors de la demande de discussion immédiate du 7 novembre. C'est la première fois que des sénateurs de tous les groupes parlementaire de la Haute Assemblée se retrouvent sur un même texte.

Le 7 novembre, la demande de discussion immédiate de la loi "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915" est adoptée au Sénat.

Le 8 novembre, à 5h30, le Sénat adopte la proposition de loi "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Le processus de la navette parlementaire est alors mis en jeu. Le texte de loi doit être voté par l'Assemblée Nationale.

Le 18 janvier 2001, l'Assemblée Nationale, suite au procesus de navette parlementaire, adopte à l'unanimité la proposition de loi "La France reconnaît publiquement le génocide arménien".

Le 29 janvier 2001, la proposition de loi devient loi de l'Etat après promulgation par le Président de la République M. Jacques Chirac.
© CDCA 2001 - Comité de Défense de la Cause Arménienne.

C'est donc la fin de la procédure entamée il y a plus de 2 ans. Cette reconnaissance publique du génocide arménien par la France constitue un appel à la reconnaissance par tous les Etats membres de l’Union Européenne et doit être interprétée par la Turquie non comme un geste d’hostilité, mais comme une invitation à abandonner une politique négationniste incompatible avec la vérité historique et les valeurs fondatrices de l’Europe communautaire.

La mobilisation pendant plus de deux ans.

Depuis le 29 mai 1998, l’ensemble des français d’origine arménienne soutenu par les défenseurs des droits de l’homme milite afin que les sénateurs puissent examiner le texte.

Plusieurs dizaines de milliers de pétitions ont été envoyées au Président de la République et au Président du Sénat.

Une marche reliant Lyon à Paris débute le 24 avril 1999. Rassemblant tout au long de son parcours plusieurs milliers de personnes elle arrive devant le Palais du Luxembourg le 12 mai.

Le 6 mars 2000, l’ensemble de la presse arménienne publie un numéro spécial totalement consacré à la décision du Sénat. Outre les messages de Henri Leclerc (Président de la Ligue des Droits de l’Homme), Danielle Mitterrand (Présidente de France-Liberté), Serge et Arno Klarsfeld, et Catherine Coquio (Secrétaire générale de l’Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l’Humanité et les génocides), une lettre ouverte est publiée, destinée au Président de la République et signée de Messieurs Alexis Govciyan (Président du Comité du 24 Avril) et Ara Krikorian (Président du Comité de Défense de la Cause Arménienne) lui demandant un entretien.

Depuis le 9 mars 2000, une tente est dressée devant le Palais du Luxembourg. Des dizaines de personnes se succèdent pour tenir ce point d’informations, sous les fenêtres des sénateurs.

Le 11 mars 2000, 15 000 personnes manifestent devant la Haute Assemblée et protestent contre la décision du Sénat. De nombreuses personnalités politiques et intellectuelles venant de la France entière et de pays voisins (Allemagne, Belgique, Italie, Suisse....) se rassemblent sous le mot d’ordre «La Turquie massacre, le Sénat enterre».

Le 14 juin 2000, l’ensemble de la presse arménienne publie de nouveau un numéro spécial totalement consacré au Sénat

Le 18 juin 2000, 7 000 personnes manifestent de l’Hôtel Matignon au Sénat pour demander la mise à l’ordre du jour du texte avant la fin de la session parlementaire.

En 1999 et 2000, les commémorations du 24 avril 1915 donnent lieu à des manifestations réunissant plusieurs dizaines de milliers de manifestants à travers la France (20 000 à Paris, plus de 5000 à Marseille).